Depuis le XVe siècle, Jeanne
a fait l'objet d'innombrables controverses. Les Armagnacs voyaient
en elle une bergère inspirée, envoyée par Dieu
afin de sauver le royaume de France. Les Bourguignons décelaient
sous ses traits un mythe de circonstance, fabriqué de toutes
pièces par leurs ennemis Armagnacs. Les Anglais se contentaient
pour leur part de la manipulation diabolique, avec un bon bûcher
à la clef. Même le pape Pie II s'interrogeait sur le
degré de divin et d'humain impliqué dans l'épopée
johannique. Aucun des partis n'avait cependant songé à
une survie aux flammes de Rouen et à transformer Jeanne en
une fille bâtarde de la maison d'Orléans. Et puis il
y eut les fausses Jeanne, dont la fameuse Claude des Armoises. Du
XIXe au XXIe siècle, certains se sont efforcés de façonner
le mythe avec des si...
«
L'affaire Jeanne d'Arc », Rogez Senzig, Marcel Gay.- Paris
: Le Livre de Poche, 2009.
Tout le travail de Marcel Gay et de Roger Senzig vise à prouver
que Claude
des Armoises, l'une des fausses Jeanne réapparue en 1436,
était la Pucelle d'Orléans et qu'elle était
une fille bâtarde de la maison d'Orléans. Le thème
est éculé : rien de bien nouveau sous le soleil. Les
deux auteurs élaborent un impressionnant échafaudage
théorique, bâti sur le conditionnel, quantité
de documents apocryphes, la lecture orientée et déformée
de certaines pièces authentiques... On emboite de force les
textes du XVe siècle pouvant cadrer avec le Graal suprême.
Tout le reste, c'est-à-dire ce qui ne rentre pas dans le
moule, est purement et simplement écarté. Le «
Journal du siège » par exemple, écrit par un
habitant d'Orléans contemporain de la Pucelle, est balayé
d'un revers parce qu'il « est très discutable »
(un peu court. Pourquoi ?). Certaines pièces sont étonnamment
décryptées, voire même modifiées (le
témoignage
de Jean Morel ou le récit tiré des « Hardiesses
des rois et empereurs » de Pierre Sala).
Rien ne manque à une intrigue à la Da Vinci Code,
depuis le vaste complot orchestré dès le XVe siècle,
jusqu'aux archives secrètes du Vatican, en passant par les
disparitions suspectes de documents compromettants et bien sûr
l'intervention des services secrets de notre temps. Bah voyons...
À quand le Charles de Gaulle sur ordre du Président
de la République ?
La lecture de cet ouvrage n'a pas été sans nous rappeler
celle de « Les Templiers sont parmi nous » de Gérard
de Sède. Le complot généralisé cachait
cette fois la présence de Templiers à Gisors
et l'existence d'un fabuleux trésor sous la motte de la forteresse.
Il y a sans doute aussi derrière cette « Affaire Jeanne
d'Arc » la quête d'un trésor bien réel
: les juteux droits d'auteur...
«
Jeanne d'Arc, le Stratagème », François Ruggieri.-
Paris, L'éditeur, 2011.
Dans ce « Stratagème », l'auteur reprend
pour la énième fois les grosses ficelles du complot,
la thèse du gamin bâtard de la maison d'Orléans,
mais Jeanne est cette fois... un homme ! La tonalité générale
est donnée dès les citations en exergue, avec une
formule de Pie II tronquée [il y manque « de produire
une vierge divinement envoyée, et à ce titre réclamant
la conduite des affaires »]. La seconde, attribuée
à Martin Le Franc, est étrange sous la plume de l'auteur
du « Champion des Dames », fasciné par celle
qui « recouvra l'honneur des Français tellement, que
par raison elle en aura renom perpétuellement. » Dans
la troisième, on croit bon de nous préciser que César
(oui, le Jules de la « Guerre des Gaules ») fait allusion
aux « Français » ! Saisissant raccourci un tantinet
anachronique... À coup d'affirmations péremptoires
et de formules du type « vérité historique incontestée
», voilà une Jeanne élevée au grain et
en plein air, dans le culte des armes, dotée d'une bonne
paire de testicules et d'un solide appendice, sur fond de populations
aux trois quarts débiles shootées à l'ergot
de seigle ! On se demande si tout cela n'est pas, au fond, qu'une
immense farce provocatrice, une galéjade orchestrée
par un auteur facétieux. Le problème, c'est qu'il
semble y croire...
«
Jeanne d'Arc, Vérités et légendes »,
Colette Beaune.- Paris : Perrin, 2008.
Après la parution de l'ouvrage de Marcel Gay et de Roger
Senzig, Colette Beaune souhaitait remettre les pendules à
l'heure. C'est chose faite, et de fort belle manière ! Certains
adeptes inconditionnels de la théorie du complot ne l'acceptent
évidemment pas. Ici et là sur le net on peut lire
que « Colette Beaune ne doute pas » ou qu'elle est une
tenante de la « vérité officielle intouchable.
» Marcel Gay parle plus globalement des « fondamentalistes
de l'histoire officielle ». Pourtant Colette Beaune étaye
ce qu'elle avance, prouve ce qu'elle écrit, démontre
les incohérences de ceux qui entendent forger le mythe et
tordre les sources dans le sens qui les arrange. Cela ne semble
cependant pas suffire à convaincre les sceptiques. Mais Confucius
savait déjà en son temps que « Quand le sage
désigne la lune, le sot regarde le doigt. » Il n'y
a pourtant dans cette affaire ni vérité « officielle
», ni réalité « cachée ».
Il y a simplement des faits historiques têtus et les pièces
qui les attestent. Le parcours terrestre de Jeanne s'achève
à Rouen en 1431. Après commence sa légende.
Bref, à lire absolument, sauf si vous souhaitez une autre
fin que « elle fut brûlée le 30 mai 1431 en place
du Vieux-Marché, à Rouen ». Dans ce cas, et
si vous voulez quand même un livre sérieux sur le XVe
siècle, il vous faudra ouvrir la biographie d'un autre personnage.
Essayez par exemple le « Louis XI » de Jean Favier :
« L'universelle araigne » n'est pas morte sur un bûcher...
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